e-santé Wallonie: une étape cruciale pour les kinésithérapeutes !

                                              Samedi 15 décembre, l'UKB se présentera devant la Fédération des Associations des Généralistes de Wallonie (FAGW) réunie en Assemblée Générale afin de débloquer l'accès aux données du patient sur les réseaux santé. Depuis le début nous n'avons de cesse de répéter que l'e-santé n'aura de sens pour le kinésithérapeute que si celui-ci a la possibilité d'accéder aux éléments pertinents pour sa pratique. C'est ainsi que depuis des mois, nous récoltons les arguments qui plaident pour un tel accès. C'est le résultat d'une collaboration avec de nombreux experts mais aussi avec des kinésithérapeutes de terrain que nous remercions vivement. 

                                              Voici l'inventaire (certainement encore incomplet) des arguments plaidant pour un accès aux données du patient.

                                              Obligations administratives et cliniques relatives aux éléments contenus dans le dossier du patient en kinésithérapie

                                              Remarque préliminaire :
                                              La prescription électronique en cours d’élaboration pour le secteur ne permettra pas d’avoir accès aux nombreuses informations nécessaires à la pratique du kinésithérapeute. Elle apportera néanmoins des informations qui n’étaient pas toujours disponibles jusqu’à présent. Cela constitue donc un progrès certes, mais non suffisant.  

                                              A. Connaissances imposées par l’Inami :
                                               
                                              En kinésithérapie, les patients ont été classés, suivant les pathologies dont ils souffrent, en différentes catégories : Voici les 5 principales concernant la première ligne :

                                              1. Les affections courantes : 18 séances max./an
                                              Ici, les données figurants sur la prescription médicale et indiquant la situation pathologique suffiront à respecter les obligations légales. La prescription électronique apportera des informations supplémentaires qui seront nécessaires dans l’encodage de pathologies spécifiques qui restent actuellement assez vagues (exemple : lombalgie).

                                              2. Les situations décrites par l’annexe 5a ou liste Fa (1) :
                                              Dans les cas relevant de ces situations, le kinésithérapeute devra connaître un certain nombre d’éléments afin de demander une autorisation (notification) de remboursement pour 60 séances maximum :
                                                  -    Le code chirurgical, sa valeur N ou K et la date opératoire ;
                                                  -    Les codes en salle de réanimation ;
                                                  -    Passage aux soins intensif ou pas ;
                                                  -    Insuffisance respiratoire chez les moins de 16 ans souffrant de trachéo-, laryngo-, bronchomalacie ou d’infections récidivantes des voies respiratoires inférieures ;
                                                  -    (…)

                                              3. Les situations décrites par l’annexe 5B ou liste Fb (1) :
                                              Le diagnostic précis de la situation pathologique qui fait l’objet d’une prescription doit être étayé par des donnés que le médecin spécialiste a apporté (troubles du développement psychomoteurs chez l’enfant de moins de 16 ans, l’insuffisance respiratoire en convention-type d’oxygénothérapie ou respiration artificielle à domicile, polyneuropathie chronique motrice ou mixte, etc.…
                                              Ce diagnostic ouvre au patient le droit de bénéficier 60+20 séances.

                                              4. Les pathologies lourdes ou liste E (2)
                                              Les 12 situations pathologiques reprisent dans le document ci-joint font l’objet d’une analyse minutieuse de la part des médecins conseils qui refusent parfois une demande pour un simple détail. Si le patient souffre d’une de ces pathologies, celui-ci peut bénéficier de séances quotidiennes et majorées au niveau du remboursement mutuelle.

                                              5. Les soins palliatifs
                                              Actuellement, la demande de reconnaissance en soins palliatifs s’effectue sans l’intervention du kinésithérapeute qui n’a pas accès non plus aux éléments lui permettant d’avoir une connaissance précise quant à l’évolution de la situation clinique du patient.   

                                              Le patient qui nous est adressé avec une simple prescription, ne permet pas, à l’heure actuelle, au kinésithérapeute d’assurer les droits du patient à bénéficier de séances en rapport avec la pathologie dont il souffre. Afin préparer un dossier correspondant à la juste situation du patient, il est plus que souhaitable que le kinésithérapeute puisse avoir accès aux éléments du dossier patient. Les « bricolages » actuels et passés qui consistent à se procurer ces informations par des voies de communication non sécurisées et non conformes au RGPD, sont punissables par la loi. La messagerie ehaelthBox n’est pas encore utilisée à une échelle suffisante par les prestataires de soins.  

                                              B. Connaissances d’éléments du dossier patient nécessaire à une pratique en toute sécurité et conforme aux recommandations internationales. 

                                                  Antécédents et rapports :
                                              -    Connaître les antécédents, peut permettre de mieux adapter un traitement. Ex. une lombalgie chronique ou une récidive d’entorse ne seront pas traitées de la même manière que dans une situation aiguë ;
                                              -    Les rapports des médecins spécialistes (cardiologues, neurologues, orl, etc…) et des autres prestataires (podologues, infirmiers, ergothérapeutes, dentistes, pharmaciens) permettent d’adapter et d’orienter le traitement en fonction des informations reçues ; certaines situations cliniques représentent une contre-indication à certains types de traitements; exemple : dans la prise en charge du lymphœdème par les techniques des bandages multicouches et/ou par pressothérapie constituent une charge cardiaque pour le patient et par conséquent l’état cardiaque du patient doit absolument être connu (3) (4) ;

                                                  Imagerie et biologie
                                              -    Certains éléments observés dans l’imagerie peuvent nous conduire à être plus efficace (savoir quel type de fracture ou le niveau d’arthrose) ou à être plus prudent (région ostéoporotique).
                                              -    L’IRM de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) est le seul examen permettant de diagnostiquer une luxation du disque articulaire. Il est essentiel d’y avoir accès avant de se lancer dans un traitement souvent long, qui demande de l’investissement du patient et du kiné.
                                              -    Dans le cadre de la prise en charge des lombalgies et des sciatalgies, l’IRM et le scanner permettent de connaitre la disposition d’une éventuelle hernie discale (postéro-médiane, extra-foraminale, si le disque est susceptible de venir comprimer la racine de l’étage inférieure, etc…). Sans ces renseignements aucune prise en charge ne peut être envisagée de manière sérieuse.
                                              -    L’imagerie en lymphoscintigraphie avec SPECT CT (tridimensionnelle) peut dans certains cas devenir indispensable pour orienter le traitement physique.
                                              Les investigations lymphoscintigraphiques sont très utiles dans la prise en charge de toute situation d’œdème. Les causes d’un œdème peuvent en effet être multiples et quand le système lymphatique est en cause, les traitements de kinésithérapie doivent être spécifiquement adaptés.
                                              La lymphoscintigraphie fait ainsi partie des critères menant au diagnostic de certains lymphoedèmes (notamment primaires et à la définition de leur gravité, critères proposés pour le remboursement de certaines prestations en catégorie E de kinésithérapie pour l’INAMI (9).
                                              Les investigations lymphoscintigraphiques permettent aussi de démontrer les voies de suppléance lymphatique par lesquelles l’œdème peut être évacué et sur lesquels la main du kinésithérapeute peut particulièrement travailler, soit pour les ouvrir, les maintenir ouvertes, soit pour les stimuler.
                                              -       Dans le cadre des traumatismes osseux (de fatigue ou autre) la scintigraphie permet de mieux les localiser et d’apprécier le degré d’atteinte.
                                              -    La radiographie thoracique peut être contributive dans des situations pathologiques avancées telles bronchiectasies, abcès ou mucoviscidose, soit dans des encombrements très importants. Au niveau du poumon distal la Rx permet l’objectivation d’une pneumopathie, de type pneumonie et atélectasie.
                                              -     L’échographie thoracique apporte des informations anatomiques, surtout au niveau du poumon profond qui est et sera une zone de plus en plus ciblée en kinésithérapie respiratoire (14).
                                              -      L’échographie associée au doppler  permet de déterminer le niveau d’atteinte d’une tendinose. En effet, si elle est en phase de néo vascularisation ou pas la prise en charge est différente. En phase de néovascularisation le traitement consistera, par des pompages loco-régionale à diminuer cette phase de néo-vascularisation. Lors d’une diminution de cette phase, le patient pourra commence les exercices en charge et le traitement par exercices excentriques et proprioceptif. C’est l’étape de rééducation. Si l’on ne connait pas le degré d’atteinte de la tendinose c’est l’échec assuré et c’est la cause de traitement au long court.
                                               -    L’EMG pour connaître les atteintes neurologiques lors d’une prise en charge de syndrome neurogène en musculosquelettiques  et de neuropathie pour ceux qui font de la rééducation neurologique.
                                              -    Certains éléments contenus dans les résultats d’une prise de sang peuvent confirmer des constatations établies lors des séances de kinésithérapie (fatigue-anémie ; crampes-magnésium, K ; saignements abondants- coagulation ; atteinte musculaire-taux de créatinine) ; Ainsi, nous pourrions renvoyer le patient chez son médecin traitant si l’accès aux bilans sanguins nous étaient accessibles.
                                              -    Certaines affections métaboliques peuvent souvent faire l’objet d’une confusion dans le chef du patient. La goutte ou la polyarthrite rhumatoïde constituent des pièges à l’interprétation, ces affections métaboliques étant souvent peu spécifiques dans leurs expressions.  Un accès à la formule sanguine pourrait nous permettre de recouper les observations cliniques et de renvoyer le patient chez son médecin pour l’établissement d’un diagnostic.

                                              Schéma de médication

                                              -    Lorsqu’on qu’on réalise une réadaptation à l’effort chez un patient, il est important de savoir s’il prend des bétabloquants car dans ce cas, on devra suivre d’autres paramètres que celui de l’augmentation de la fréquence cardiaque ;
                                              -    Certains médicaments régulant la tension peuvent faire gonfler les membres inférieurs, il est donc important pour le kiné de connaitre la médication prise par son patient.
                                              -    Les corticoïdes pris pendant de longues périodes peuvent générer des œdèmes (ex : myasthénie, maladie de Horton, ...) et si le kiné ne connait pas le dossier du patient, son traitement ne peut aboutir à de bons résultats.
                                              -    La prise d’anti-agrégants plaquettaire ou d’anti-coagulants peuvent constituer une contre-indication au crochetage, au traitement par ondes de choc et à l’application de pressions maintenues.
                                              -    La prise d’anti-vertigineux ou encore de médicaments dont les effets secondaires peuvent entraver la rééducation vestibulaire.
                                              -    Dans le cadre d’une rééducation pour trouble de l’équilibre, la connaissance du type de médicament devrait être connue du kinésithérapeute (10).
                                                  o    Effet sédatif : barbituriques, benzodiazépines hypnotiques ou non et anticonvulsivants
                                                  o    Syndrome extrapyramidal : neuroleptiques ;
                                                  o    Hypotension orthostatique : antihypertenseurs, dont les bêtabloquants et les diurétiques, L-dopa et agonistes dopaminergiques, antidépresseurs ;
                                                  o    Troubles de conduction et du rythme cardiaque : tous les antiarythmiques, diurétiques hypokaliémiants (torsades de pointes).        
                                              -    La pharmacocinétique est modifiée par l’activité musculaire. Connaître les classes médicamenteuses prescrites permet de comprendre les réactions du patient face à la prise en charge. Un échange peut ainsi s’établir avec le médecin traitant qui pourrait déboucher sur une adaptation du dosage.

                                              Autres éléments contenus dans le dossier

                                              -    Avant d’entreprendre des techniques de manipulation, il est impératif d’éliminer un certain nombre de drapeaux rouges (Red Flags) (5) :
                                                  •    présence d’une ostéoporose ou une autre fragilité osseuse
                                                  •    prise de stéroïde
                                                  •    antécédents néoplasiques
                                                  •    histoire récente d’un traumatisme violent
                                                  •    immunosuppression
                                              -    Connaître le contexte social, familiale et environnemental du patient permet de mieux adapter le traitement et les conseils thérapeutiques ;
                                              -    L’état psychologique et les éventuelles rapports psychologiques ou psychiatriques permettent aux kinés d’adaptés la prise en charge du patient et de mieux ciblé le patient. Black flags, Yellow Flags, Blue Flags. Autant d’éléments qui permettent aux thérapeutes d’adapter la prise en charges en fonction des possibilité du patient
                                              -    Savoir s’il y a des contre-indications à l’utilisation de traitements comme la cryothérapie (ex : allergie au froid, maladie de Raynaud, cryoglobulinémie, trouble de la sensibilité ou fragilité cutanée (favorisée par l’hémophilie, l’alcoolisme, la cortisone ou le diabète), maladie ou troubles vasculaires périphériques
                                              -    Savoir si le patient a des assuétudes à l’alcool ou à certaines drogues car cela nous aiderait à comprendre certaines difficultés rencontrées
                                              -    Savoir si un patient a des allergies par rapport aux produits et accessoires qu'on utilise comme le latex (15), les crèmes de massages, gels et huiles essentiels (16)
                                              -    Savoir si le patient n’a pas une contre-indication à la pratique de l’exercice thérapie

                                              Remarques concernant la pharmacologie

                                              La pharmacologie est enseignée en fin de bac et/ou en master dans les universités et dans les Hautes Ecoles (UCL, Helha, Condorcet, HE2B-Isek, …) (6) (7) (8). Dans les premières années se succèdent les cours de chimie, biochimie et ensuite physiopathologie qui forment déjà les étudiants aux connaissances des molécules et de leurs modes d’actions. L’accès au schéma de médication permettra de confirmer la nécessité d’approfondir les connaissances en pharmacologie des kinésithérapeutes.

                                              Exemples à l’étranger  

                                              Il serait intéressant de faire une analyse des exemples d’accès aux données dans les pays limitrophes afin de profiter de l’expérience acquise.
                                              En France, la Loi du 4 mars 2002 règle l’accès aux données du patient aux professionnels de santé et impose le consentement de celui-ci (11). Le kinésithérapeute fait partie de la liste des prestataires de soins qui lui impose en conséquence le secret médical. Le Conseil de l’Ordre des médecins avait établi la liste des personnes ayant le droit d’accéder aux données du patient (12)
                                              Avec l’avènement du dossier informatisé partagé, le principe est resté le même moyennant quelques précautions. Ainsi, le patient crée un Dossier Médical Partagé (DMP) (13) et si ce patient est traité par un kinésithérapeute, celui-ci aura accès à son dossier sans restriction (sauf données ultra-sensible). Le consentement doit être enregistré.

                                              C. Multidisciplinarité

                                              Avec le développement de l’e-santé, les kinésithérapeutes auront la possibilité de partager leur conclusions et rapports directement) à partir de leur logiciel métier en INFO OUT.  Dans un certain nombre de circonstances (ex : les trajets de soins et les projets de soins intégrés) la communication entre prestataires de soins est devenue une nécessité absolue. Celle-ci ne peut s’envisager sérieusement sans que le kinésithérapeute ne dispose des éléments du dossier pertinents à sa pratique.

                                              Le secteur souhaite disposer d’un canal de communication en ligne avec le médecin et les autres prestataires de soins dans une logique de multidisciplinarité.

                                              CONCLUSIONS

                                              Les kinésithérapeutes n’ont accès actuellement à aucune donnée du patient hormis la prescription. Pour permettre au patient d’accéder à ses droits d’une part, et de pouvoir mettre sur pied un programme de kinésithérapie efficient et en toute sécurité, il paraît inconcevable de maintenir le statu quo. La digitalisation de la profession est une opportunité d’impliquer le kinésithérapeute dans le système des échanges de données (dans les deux sens) afin que celui-ci ne travaille plus en aveugle et de manière isolée. Un accès au dossier patient constitue pour le kinésithérapeute, au regard des arguments apportés ci-dessus, un progrès qui le responsabilisera et lui permettra de mettre en place un véritable partenariat avec le médecin et les autres prestataires de soins dans l’intérêt même du patient.

                                              Saïd MAZID
                                              Vice-Président de l'UKB



                                              Bibliographie et webographie

                                              1)    https://www.inami.fgov.be/fr/professionnels/sante/kinesitherapeutes/Pages/remboursement-kinesitherapieepathologies-listes-fa-fb.aspx
                                              2)    https://www.inami.fgov.be/fr/professionnels/sante/kinesitherapeutes/Pages/pathologies-lourdes-demande-reduction.aspx
                                              3)    Hemodynamic response to multilayered bandages dressed on a lower limb of patients with heart failure. Article (PDF Available) in European Journal of Lymphology and Related Problems 15(45):1-4 · January
                                              4)    Hemodynamic impact of pressotherapy [in French]. Article in Journal des Maladies Vasculaires 15(3):267-9 · February 1990 Source: PubMed
                                              5)    https://jcphysiotherapy.com/blog/a-review-of-red-flags/
                                              6)    https://sites.uclouvain.be/archives-portail/ppe2016/prog-2016-kine2m1.pdf
                                              7)    https://www.helha.be/ects/PA/K16/117_16_PAKN3B20KIN.pdf
                                              8)    https://www.condorcet.be/kinesitherapie/kinesitherapie-competences-debouches/33-etudes/paramedical/kin%C3%A9sith%C3%A9rapie-master.html
                                              9)    http://belnuc.be/content/une-lymphoscintigraphie-ganglion-sentinelle
                                              10)     https://www.cen-neurologie.fr/deuxieme-cycle%20/troubles-marche-lequilibre-sujet-age
                                              11)     http://sos-net.eu.org/medical/dpom.htm#acces
                                              12)     https://www.conseil-national.medecin.fr/node/1483
                                              13)     https://www.dmp.fr/ps
                                              14)     La kinésithérapie respiratoire du poumon profond. Bases mécaniques d’un nouveau paradigme, Guy Postiaux ; Revue des Maladies Respiratoires Volume 31, numéro 6, pages 552-567 (juin 2014)
                                              15)     http://allerg.qc.ca/Information_allergique/5_3_latex.html
                                              16)      https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877032015002122