Interview de Monsieur S. Michel, Président du SNMKR

Nous refusons toute "spécialisation" qui donnerait un caractère "exclusif" à tel ou tel domaine voire à créer une nouvelle profession

De passage à Paris, le président du Syndicat National des masseurs-Kinésithérapeutes Rééducateurs (SNMKR), Monsieur Stéphane Michel, nous a fait le plaisir et l’honneur de nous recevoir. Notre président, Didier Leva et moi-même avons abordé de nombreux sujets et envisagé des collaborations futures dont nous ne manquerons pas de vous tenir au courant dans nos prochains numéros.

Constatant les nombreuses convergences de vues sur les vrais enjeux qui pèsent sur la kinésithérapie, nous avons décidé de donner la parole à Monsieur Stéphane Michel.

Voici l’interview qu’il m’a accordé :

UKB : Monsieur Stéphane Michel, depuis combien de temps êtes-vous président du Syndicat National des Masseurs-Kinésithérapeutes Rééducateurs (SNMKR) et qu’est-ce qui en fait sa particularité?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Je suis Président du SNMKR depuis 2011, après avoir été Trésorier de 2005 à 2010. Je préside également l’UNSMKL qui est la réunion de deux entités syndicales que sont le SNMKR et Objectif Kiné. Je préside aussi les deux entités directement issues du SNMKR à savoir la branche presse (APEK) et la branche formation continue (ONREK).

Les 18 administrateurs nationaux sont élus par la base des adhérents pour des mandats de 6 ans renouvelables par moitié tous les 3 ans. Le président est élu par le Conseil d’administration ainsi que le bureau qu’il présente.

UKB : Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur la profession et quelles priorités, la SNMKR s’est-il fixées?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : L’évolution rapide de notre système de santé nous impose de réfléchir ensemble à l’avenir de notre profession pour éviter un nombre de menaces qui pèsent sur la tête des professionnels de santé et notamment des kinésithérapeutes. J’en vois spontanément deux qui nous concernent directement :
• La première menace est le développement de l’accès partiel* à travers la transposition de la directive européenne à ce sujet. L’opportunité pour un professionnel de santé communautaire de venir exercer sa propre profession au sein du territoire français constitue un danger pour 2 raisons :
- Aucune garantie sur la qualité des soins prodigués, ce qui met en cause la sécurité du patient.
- Une illisibilité du système à envisager avec un morcellement de compétences entre plusieurs types de professionnels.
• La seconde menace est le manque de reconnaissance des compétences du kinésithérapeute face aux nombreuses évolutions du système de santé.
• L’augmentation du nombre de maladies chroniques.
• La désertification médicale.
• L’engorgement des services d’urgence.
• Le virage ambulatoire.

Le SNMKR s’engage quotidiennement pour défendre les droits et intérêts des professionnels, en valorisant l’exercice de la kinésithérapie et son rôle indispensable dans le parcours de soins du patient.

UKB : Pendant de nombreuses années, les Staps-Apa (professionnels issus de l’éducation physique) ont constitué une menace réelle sur les prérogatives du kinésithérapeute. Pensez-vous qu’avec le décret imposant un passage obligatoire par le kinésithérapeute dans le cadre d’une prescription pour activité physique adaptée cette menace s’est quelque peu dissipée?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Le décret portant sur la prescription d’activités physiques adaptées permet de poser le cadre sur un véritable enjeu de santé publique qui est l’adoption d’un comportement favorable à la santé par les citoyens : la réalisation d’activité physique.

Dans ce cadre, il faut cependant dissocier plusieurs catégories de personnes : les personnes en bonne santé, les personnes en cours de réadaptation et les personnes atteintes d’une maladie chronique relevant de l’affection longue durée.

Dans ces 3 situations, la place de la kinésithérapie n’est pas définie dans ce décret et c’est ce qui pose problème. L’intervention du kinésithérapeute, notamment sur le champ thérapeutique est une nécessité absolue pour appuyer le diagnostic médical avant l’intervention d’un APA.

Il n’est pas ici question de remettre en cause les compétences des APA sur leur capacité à assurer des activités physiques adaptées, mais bien de mettre en évidence la pluralité des situations, et notamment d’avertir sur la compétence du kinésithérapeute sur les activités physiques adaptées à la pathologie chronique. Nous faisons valoir notre expertise exclusive dans le cadre notamment du bilan diagnostic que nous cherchons à imposer comme indispensable à toute prise en charge APA.
Cette communication autour du bilan est partagée avec notre institution ordinale avec laquelle nous travaillons en complémentarité et bonne intelligence.

UKB : Pensez-vous que l’avènement d’un Ordre de la kinésithérapie en France a constitué un pas important pour la promotion de la profession? Quels sont vos rapports avec cette structure ?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Nous avons oeuvré depuis plus de 20 ans pour que la profession puisse être dotée d’un Ordre, tout comme nous avons oeuvré pour que la profession se dote d’un Collège scientifique. Sans ces deux entités , il n’y avait aucune possibilité d’émancipation. Alors, oui, c’est un pas important pour la promotion de la profession. Nous sommes amenés à travailler ensemble de façon coordonnée en permanence car les sujets sont transversaux même si chacune des entités (syndicat et ordre) possèdent leurs propres domaines d’intervention.

Même si certains font encore l’amalgame entre l’ordre et les syndicats, l’avènement d’une institution qui permet de veiller au bon respect de la déontologie et des principes moraux de la profession est une nécessité. Elle a notamment permis de renforcer l’autonomie et l’indépendance de la profession par rapport à la profession médicale. Avant sa création, nous étions sous la tutelle disciplinaire de l’Ordre des médecins.

Nous travaillons quotidiennement de concert avec l’Ordre pour promouvoir la kinésithérapie auprès des pouvoirs publics, à l’échelle nationale et internationale.

UKB : Chez vous comme en Belgique, la question d’un honoraire juste figure parmi les premières revendications des Kinésithérapeutes. Avec les négociations débutantes concernant la prochaine convention, comment voyez-vous les choses ?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Les négociations avec l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie dans le cadre d’un avenant conventionnel ont débuté en novembre dernier. Elles sont en phase d’achèvement mais les propositions tarifaires proposées sont loin de celles attendues par la profession. La profession a exprimé ses attentes au travers de notre plateforme collaborative. Nous souhaitons tendre vers
une tarification simplifiée à 2 ou 3 actes en fonction de leur complexité technique (21 et 25 euros) ainsi qu’une revalorisation du bilan diagnostic kinésithérapique (23 euros). Nous souhaitons dissocier la tarification de la codification des actes.

UKB : Les études en kinésithérapie passent à 5 années à la rentrée prochaine. 1 année à l’université et 4 autres en institut. Pourquoi le grade de master tarde-t-il à être accordé ?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Lorsque nous avons engagé les négociations avec le ministère de la santé sur la réforme des études, la délivrance du grade master était un point bloquant pour le ministère. C’est pourquoi la formule 1+4 a été retenue dans un premier temps, sachant que l’étape Master serait ensuite qu'une formalité administrative à obtenir. Nous avons jugé qu’il était important de mettre le pied dans la porte pour pouvoir avancer sur ce dossier qui était bloqué. La dernière réforme datait de 1989.

Il semblerait que la reconnaissance au RNCP au niveau I (soit Master) soit inscrite au Bulletin Officiel du 15 juin. Nous devons encore avancer avec les Universités pour une intégration pleine et entière au format universitaire dans le respect des recommandations de Bologne. En fait, nous construisons la réforme sur un format 1+2+2, avec délivrance d’une licence professionnalisante dès la fin de la 3ème année.

Le problème que nous rencontrons est lié à la première année de sélection orientation qui, bien que prioritairement PACES (Première Année Commune aux Etudes de Santé) peut aussi se faire via STAPS (activités physiques et sportives) et BIO (licence de biologie). C’est cette sélection multiple qui nous bloque aujourd’hui car les étudiants ne sont pas tous au même niveau en fin de première année.

UKB : Pensez-vous que les études en kinésithérapie garderont une configuration donnant aux futurs diplômés un accès à tous les domaines de la kinésithérapie ? Êtes-vous pour une spécialisation durant le cursus de base ou sur le terrain ?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : C’est ce que nous défendons. En fait nous refusons toute « spécialisation » qui donnerait un caractère « exclusif » à tel ou tel domaine voire à créer une nouvelle profession, je pense à la rééducation vestibulaire, uro-gynéco, respiratoire…
C’est pourquoi nous préférons parler de «spécificité d’exercice» ou d’ «orientation thérapeutique» plutôt de spécialisation. Les études en kinésithérapie doivent garder un caractère « généraliste ».

UKB : En France, les réseaux santé sont des structures impliquant les prestataires en première ligne et l’institut hospitalier. Pensez-vous que l’intervention des libéraux kinésithérapeutes est satisfaisant et implique suffisamment la kinésithérapie ?

Stéphane Michel, Président du SNMKR : Le système français est un système très médico centré sur un modèle biomédical curatif dans lequel seuls les médecins ont un rôle prépondérant. Les infirmières viennent ensuite pour exécuter les tâches techniques simples sans réelle autonomie.

La place des kinésithérapeutes comme d’autres professions de santé comme les orthophonistes ne devient dès lors qu’accessoire dans ce modèle même si nous revendiquons le contraire.
En fait, la profession souffre d’une double compétence dans le «cure» (soigner) et dans le «care» (prendre soin) ce qui en fait sa spécificité et son originalité. Je dirai presque qu’elle peut en devenir «dérangeante» pour certains qui ne jurent que par le «cure». A nous kinésithérapeutes de nous imposer dans un monde où la méfiance entre professionnels de santé règne en maître, chacun essayant de défendre son territoire.

Interview réalisée par Saïd Mazid, Vice-Président UKB

* L’accès partiel est la possibilité qu’ont certains praticiens à demander un agrément et donc un accès à une partie des prérogative d’une profession de santé. Exemple, dans certains pays il existe des professionnels ne
faisant que du massage thérapeutique. Ceux-ci ont le droit, selon une directive européenne, de demander un accès partiel à la kinésithérapie

Interview publiée dans le Kiné-Varia n° 418 juin 2017